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IBANDA KABAKA ONLINE
21 juillet 2012

L’économie politique des conflits en République démocratique du Congo

L’économie politique des conflits en République démocratique du Congo

AuteurPierre Jacquemot[*] [*] Économiste et diplomate, ancien maître de conférences...
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du même auteur



La littérature spécialisée consacrée à l’économie des conflits est-elle pertinente pour comprendre la crise que traverse la République démocratique du Congo (RDC) ? Le modèle d’économie de la guerre civile de C.A. Yartey (2004) repose sur plusieurs critères pour déterminer la probabilité d’un conflit (croissance économique, revenu per capita, exportation primaire, qualité des institutions, niveau de corruption). Certains résultats du modèle sont intéressants : le risque moyen d’un conflit dans la région des Grands Lacs était entre 1960 et 1999 de 27 % contre seulement 9 % pour le reste de l’Afrique. Les études de M. Berdal et D.M. Malone (2000), puis de P. Collier et A. Hoeffler (2002) mettent quant à elles en évidence la distinction entre d’un côté le « modèle du grief » (grievance model), où le conflit résulte des inégalités, de l’oppression politique et des divisions soit ethniques soit religieuses, et de l’autre le « modèle de la cupidité » (greed model) qui met l’accent sur le rôle joué par les ressources naturelles dans l’émergence et l’entretien du conflit. Ainsi, l’exportation de ces ressources accroît le risque de guerre de quatre manières : financement des rebelles et des armes, aggravation de la corruption de l’administration, hausse des incitations à la sécession et augmentation de la vulnérabilité de la population aux chocs exogènes (Collier et al., 2003).

 

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Carte 1 - Mine, conflit et contrebande en RDC

Carte 1 - Mine, conflit et contrebande en RDC

La RDC est un damier de carrés miniers de 85 hectares en moyenne. 64 % du territoire a été cédés sous le régime du code minier actuel, sachant que les 36 % restants sont vides ; en d’autres termes, 100 % des ressources minérales connues ont été distribuées. L’accès à la ressource est relativement bon marché. Il faut payer une taxe superficielle de 1,5 dollar pour une exploration sur 85 hectares et 425 dollars pour une exploitation. À titre de comparaison l’impôt foncier sur l’habitat est 10 000 fois plus élevé. Malgré ces taux dérisoires, près de 80 % des bénéficiaires ne paient pas la taxe annuelle et peu de déchéances sont prononcées. Le revenu pour l’État est devenu résiduel depuis dix ans. Les exploitants bénéficient en outre d’importantes exonérations fiscales. L’impôt sur les bénéfices (30 %) est d’un faible rendement soit parce qu’il est d’usage de minorer les gains réels, soit d’exagérer les charges d’exploitation. En 2007, le Katanga a exporté 1,5 milliard de dollars US de minerai pour 15 millions de taxes. Le Kasaï-Oriental a exporté un milliard de dollars US de diamant pour 40 millions allant à l’État et un montant de 15 000 dollars par mois à la province[1] [1] Chiffres donnés par maître Marcel Yabili, Conférence...
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2La « cupidité » semble bien être l’un des fondements à l’instabilité récurrente qui règne en RDC. On se rapproche également de la situation décrite par S. Michailof, M. Kostner et X. Devictor (2002) où les conflits qui ont pour finalité le contrôle des ressources et des rentes s’auto-entretiennent, rendant peu efficaces les pressions exercées pour ramener la paix. On peut aussi évoquer les conditions qui prévalent dans un « État fragile », doté d’une démocratie trop précaire et qui souffre de la « malédiction des matières premières » (Châtaigner et Magro, 2007).

3En réalité, les causes des conflits récurrents de la RDC sont multiples, empruntant aux deux modèles grief-cupidité et à bien d’autres explications. Ils sont la résultante de plusieurs contentieux, d’animosités anciennes, de haines sédimentées et de diverses compétitions autour des positions de rente, qui ont leur propre histoire et qui se nourrissent mutuellement. P. Hugon a tenté d’identifier cet enchevêtrement pour le cas africain en général, mais en se refusant de hiérarchiser les divers facteurs (2003). Il n’est en effet pas aisé d’en démonter les mécanismes puisqu’ils relèvent de l’illicite et sont donc partiellement dissimulés, ni de trouver les solutions pour une pacification de ce pays meurtri, qui s’inscriraient dans la durée.

LES DEUX « ÉCONOMIES GRISES » DE LA RDC

4La colonisation belge s’est achevée en 1960 avec comme héritage une forte spécialisation minière. Les données estimées sur la production sur un siècle montrent que les prélèvements des richesses ont été très importants, mais sans retombées significatives sur le développement du pays depuis l’indépendance.

Tableau 1 - Production de minerais au Congo depuis 1906

20Le comptoir légal, qui se fournit auprès de ses fournisseurs, cherche à garantir une marge de 10 % sur sa mise de fonds. Au cours international de 10 000 dollars la tonne, la filière formelle est considérée comme non rentable. Trop de taxations et de prélèvements tuent la marge, et le revenu aux creuseurs est trop faible pour qu’ils acceptent de travailler. Alors, il n’y a que les entreprises intégrées sur l’ensemble de la filière (une russe – Panafrica – et deux chinoises) et les circuits militarisés et frauduleux qui continuent l’activité. Les pratiques illégales, ont pour but de contourner la chaîne des prélèvements publics qui doivent normalement servir à financer le fonctionnement des institutions étatiques au niveau de la province ou de la chefferie. Ces prélèvements sont un puissant facteur d’incitation à la fraude – des « pousses à la fraude » – et expliquent les « conduites d’évitement » (Véron, 2007). Les taxes, redevances, certifications, licences et sceaux d’exportation entre les mines de cassitérite de Walikale et le poste frontalier de Goma étaient, en juin 2009, de 450 dollars la tonne, soit 15 % de la valeur du minerai. Plusieurs taxes sont en fait inexistantes dans les textes. En juin 2009, il a été recensé 25 taxes (ou « services officiels ») de l’ordre de 20 dollars pour chaque transaction dont 20 étaient fausses[14] [14] Source : Fédération des entreprises congolaises (FEC),...
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21La forte spécialisation ethnique dans la gestion des couloirs est une tendance observable depuis quelques années ; elle tend à exacerber la suspicion dans la chaîne commerciale et rend plus difficile l’établissement de rapports de confiance dans les affaires. Cependant, de plus en plus fréquemment, on rencontre de jeunes « traders », plus ouverts aux relations d’affaires, s’émancipant du contrôle ethnique.

LA VALORISATION DE LA RENTE À L’EXPORTATION

22Le tableau 3 donne l’évolution des transactions en volume des puits d’extraction de cassitérite de Walikale jusqu’à Goma : la « fuite » est de 8 000 tonnes. Le lavage des minerais entraîne une perte de quelque 10 %, mais pas davantage. Pour l’essentiel la fraude résulte de plusieurs causes : le contournement, par le commerçant, des passages où il doit s’acquitter des diverses « taxes et services », l’utilisation abusive des franchises fiscales ou la référence délibérément incorrecte à la nomenclature commerciale, la collusion entre le commerçant et le percepteur qui s’accordent sur une sous-évaluation de la marchandise, moyennant paiement[15] [15] Pole Institute, entretiens avec les services de l’État...
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Tableau 3 - Érosion dans le circuit de la cassitérite à Walikale (2006)

25La fraude est donc la réponse aux prélèvements imposés par les États, abusivement le plus souvent. Pour exporter légalement en Europe ou en Asie un container de 25 tonnes de cassitérite à partir de la RDC, il fallait verser 10 000 dollars de taxes. En exportant de manière illicite la même quantité de cassitérite, il suffisait de verser 300 dollars à partir du Rwanda et 50 dollars d’Ouganda[18] [18] Données obtenues à Goma par l’auteur (juin 2009). ...
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. Cela explique que l’on estime à un tiers environ le minerai provenant des Kivus qui est légalement acheté et exporté, le reste étant envoyé directement au Rwanda. Les exportateurs sont connus, les compagnies d’aviation aussi (INICA, 2007, p. 23-25). Personne ne saura jamais les quantités réelles de minerais sortis du pays depuis août 1998. Les vraies exportations n’ont rien à voir avec les statistiques reprises dans les documents officiels.

26Le système bancaire formel est quasiment absent dans le fonctionnement des réseaux. Des intermédiaires s’y substituent. Ils ont des ramifications internationales ; ainsi le réseau Nande du Congo oriental/Nord-Kivu entretient des relations très solides avec les Kondjo ougandais, les réseaux indo-pakistanais et Dubaï ; la filière établit son propre taux de change dollar/franc congolais fixé par les cambistes de manière totalement indépendante de la Banque centrale du Congo. L’or peut aussi servir de devise en l’absence d’un mécanisme bancaire. Ces pratiques se révèlent cacher des opérations de blanchiment de liquidités dans le financement des filières de transaction des minerais, avec un important poids des dépenses de transport (achat de camions). Il semble en revanche que peu de moyens sont réservés à l’amélioration de la productivité des mines, l’insécurité régnant du fait des groupes armés rendant précaire cette affectation.

27L’intégralité des ressources minières de l’Est est exportée sans réelle transformation industrielle, par deux corridors bien organisés : nord (la voie ougandaise) et centre (la voie rwandaise) conduisant à Mombasa et Dar es Salam, pour se poursuivre vers l’Europe, les émirats arabes et l’Asie (Martineau, 2003 ; INICA, 2007). La Malaisie est un important importateur de cassitérite. Le corridor sud est réservé aux ressources du Katanga, et au diamant, concurremment avec la voie australe vers Durban, à travers la Zambie.

28Les conflits du Congo sont des activités hautement lucratives. Ils se nourrissent eux-mêmes : vente de minerais pour l’achat d’armes, utilisées pour contrôler les sites miniers. Les bénéfices dégagés de l’exploitation et le commerce frauduleux permettent aux belligérants d’acquérir armements lourds, canons, mortiers de longue portée, AK-47, munitions, appareils de transmission et uniformes à l’étranger, par des voies tout aussi frauduleuses sur les marchés est-européens et, de plus en plus, asiatiques. Un embargo sur les armes a été instauré en 2003 par les Nations unies. Il a été renouvelé régulièrement, mais les enquêtes des Nations unies observent tout aussi régulièrement des violations de cet embargo mettant en cause aussi bien les autorités congolaises que les gouvernements ougandais, rwandais, sud-africain et de la Guinée équatoriale, soupçonnés de soutenir les ventes d’armes clandestines dans la région menaçant gravement le retour à la paix (Hugo, 2006). Les voies routières et lacustres sont utilisées. Mais la part du trafic aérien est la plus importante, en raison des problèmes logistiques posés par le transport terrestre des armes et par l’enchevêtrement des contrôles effectués par les diverses milices. Les avions sont loués par les opérateurs dans les aéroports de Nairobi, de Dar es Salam, de Kigali ou de Kampala.

UN « MODÈLE » ÉCONOMIQUE RATIONNEL

29Tentons d’aller plus loin dans l’identification du « modèle » économique de la guerre civile en RDC. Il met en question toutes les catégories polaires : formelle-informelle, légale-illégale, légitime-criminelle. Tous les éléments constitutifs d’un système économique organisé sont réunis :

  1. une rente minière facile à mettre en valeur avec un faible investissement industriel (mais avec des coûts de sécurité élevés) ;
  2. une main-d’œuvre disponible et aisée à exploiter, un réseau commercial efficace ;
  3. un mode d’accumulation simple reposant sur un système financier élémentaire ;
  4. un réseau internationalisé de vente de minerais et d’achat d’armes.

Cette organisation est criminelle, mais elle ne doit pas être considérée pour autant comme « chaotique » ou « irrationnelle » ; elle a sa propre logique d’accumulation, certes violente et destructrice, mais très profitable. On rejoint ici une observation de C.A. Yartey (2004) tirée de plusieurs cas de conflits africains : les rebelles sont eux aussi des agents économiques rationnels, qui maximisent leur fonction d’utilité après avoir évalué le profit attendu du conflit. La rébellion est donc un processus modélisable car elle est une décision rationnelle et sa viabilité financière est l’élément qui détermine la manière avec laquelle elle sera conduite par ses protagonistes.

30Comment s’opère la régulation au plan local ? T. Vircoulon (2008) précise que l’est du Congo a connu un double processus : les groupes rebelles ont aggravé le déclin de l’État, mais ils ont aussi suscité l’émergence de coalitions et de réseaux nouveaux qui ont un impact sur l’organisation sociale et politique. Sur le chaos apparent, un nouvel ordre s’installe progressivement autour de modes de contrôle privatisés.

31La particularité de cette économie est d’emprunter une forme violente et mafieuse : chaque chef de guerre contrôle son territoire, sa mine et le circuit de commercialisation constitutifs de sa rente ; si l’un déborde sur l’aire de jeu de l’autre, c’est la guerre des clans. Les contrôleurs de la rente s’efforcent de la préserver, ceux qui cherchent à s’en emparer prennent les armes pour y parvenir. L’absence d’ordre public associée à la culture de l’impunité (ou le « culte de la fraude », comme l’on dit à Kinshasa) héritée des dernières années du règne de Mobutu, a donné l’environnement politique favorable à l’épanouissement de cette économie qui se nourrit de la prédation et qui s’autodétruit à la longue par la surexploitation des sols, des sous-sols et des hommes. Les circuits illégaux, installés à toutes les étapes des réseaux, risquent de vulnérabiliser encore longtemps les structures formelles de gouvernance et de rendre difficile à réformer un système d’économie de guerre civile si bien lubrifié.

LA VIOLENCE ET LA RUMEUR COMME CONSTITUANTS DE L’ÉCONOMIE DES CONFLITS

32Le conflit des Kivus prend l’allure d’un mal irrémédiable. Les conditions d’existence sont atroces. En avril 2009, selon les données du HCR, plus de 1 200 000 déplacés internes » vivant dans un état d’errance permanent, les deux Kivus ployant sous une catastrophe humanitaire.

33Dans les cantonnements de l’Est, il y a un manque de soin, de logements, d’alimentation pour les soldats et leur famille. Au début de l’année 2009, la solde était versée irrégulièrement, parfois détournée par les officiers. Alors le brigandage régnait, les soldats maraudeurs en guenille rançonnaient les habitants des villages ; des déserteurs vivaient de rapines et de braconnage, grigous effrayants pour les villageois. Ces harcèlements donnaient lieu à une série épouvantable de violations des droits humains, sous la forme surtout de sévices et d’humiliations aux séquelles durables sur les femmes, et d’enrôlements d’enfants (kadogos), considérés comme des butins de la guerre, voire d’assassinats commis le plus souvent en toute impunité, la justice ne s’exerçant pas (Amnesty International, 2008).

34Les femmes sont toujours au cœur du drame de l’économie des conflits, victimes de la terreur du viol comme arme de guerre et de soumission, « bêtes de somme », souffre-douleur aussi de la déliquescence des infrastructures sanitaires et autres. Victimes de violence sexuelle, elles n’ont aucun accès à la justice, en raison de l’éloignement des tribunaux et du déficit en magistrats formés. Quand elles parviennent malgré tout à dénoncer les violeurs (selon la Mission des Nations unies pour la RDC – Monuc –, 34 viols enregistrés par jour dans les Kivus au début de 2009), elles augmentent leur insécurité, comme celle des associations qui tentent de leur venir en aide. Quand il le faut, pour soumettre la population, les champs des paysans sont détruits, interrompant les circuits d’approvisionnement des villes en maïs, manioc, haricots, patates douces… amplifiant ensuite les phénomènes de malnutrition dans cette région.

35Dans une démonstration magistrale, S. Jackson (2001) associe la rumeur aux deux éléments constitutifs de l’économie des conflits, la violence instrumentalisée et la logique économique. « L’accumulation de richesses extrêmement rapide pour quelques-uns suscite dans l’imagination populaire des rêves de technologie magique à la source d’un enrichissement capitaliste, mais, comme c’est le cas en RDC, elle peut également provoquer un vif ressentiment devant “une production et reproduction illégitimes” » (p. 131-132). La rumeur – narrations, accusations, malédictions, on-dit, par voie de sermons, de tracts anonymes, d’affiches, de messages radio – n’est jamais neutre, ni en intention, ni en effets. Elle agite le plus souvent des théories du complot. Les tensions internes « nourrissent des processus identitaires fondés sur la construction et le rejet d’un Autre dont la diabolisation est amplifiée par les médias et le discours de haine » (Pourtier, 2007, p. 95). Aux Kivus et en Ituri, la rumeur fait abondamment circuler l’idée selon laquelle depuis les guerres récentes, l’économie frauduleuse est « criminelle » dans sa nature et son intention et qu’elle met toujours en jeu le « Rwandais », accusé d’accaparer les terres et les mines, de déposséder les chefs coutumiers, de continuer de parler le kinyarwanda.

36La radio rurale joue une fonction très efficace dans la neutralisation ou dans la propagation de la rumeur. On comprend pourquoi elle est une cible lors des conquêtes de territoires, comme a pu le montrer l’avancée du CNDP dans le Rutshuru à partir d’août 2008, fermant systématiquement les radios communautaires, laissant la place au « radiotrottoir », diffusant de fausses informations. Le téléphone cellulaire joue aussi un rôle important. Il réduit le temps de la communication. La rumeur masque, dénonce et à l’occasion exagère la violence économique, provoquant à son tour le ressentiment qui conduit à plus de violence. Le comploteur désigné est le plus souvent le « Nilotique » avide de construire un « empire hima-tutsi ». D’une certaine manière, comme la violence, la rumeur « fait de l’ordre » dans l’économie criminalisée.

LES MUTATIONS DE L’ÉCONOMIE RURALE

37Les conséquences sociales des conflits régionalisés en Afrique ont souvent été identifiées. Sans se référer uniquement à la RDC, T. Addison (2002) observait déjà que « les guerres détruisent le capital humain et physique des pauvres et détruisent les liens familiaux et le système relationnel qui est central dans la vie des communautés ». Associé à la destruction des infrastructures et des services essentiels, il ajoute que la détresse des segments les plus pauvres de la population peut atteindre le point où ils ne pourront plus bénéficier des efforts de reconstruction une fois le conflit terminé. La vie publique est ébranlée. L’activité économique est démantelée. Les combats dans le Nord-Kivu ont fait de cette région fertile et verdoyante une zone de pénurie alimentaire. L’équilibre des marchés agricoles a été rompu et en raison des violences, la plupart des paysans n’ont pas pu récolter pendant trois ou quatre saisons successives.

38Dans plusieurs années, les chercheurs interpréteront les bouleversements introduits par la guerre à partir du système social de cette région à la socio-anthropologie complexe, où se mêlent trente ethnies différentes. Quelques observations s’imposent déjà. La fragmentation sociale aux Kivus est en fait le résultat d’un long processus qui n’a cessé de modifier l’usage économique de l’espace disponible et la mobilité du travail en son sein (Van Acker et Vlassesenroot, 2001). Le comportement des rebelles exacerbe une lutte intra-communautaire pour des ressources qui finiront par s’épuiser. Partout, l’agriculture y perd ses bras au profit du travail dans les mines. L’insécurité est parfois entretenue par les groupes armés pour pousser les populations rurales vers les sites miniers. La relation entre l’économie du coltan et la violence est bien documentée dans plusieurs études : la « commodisation de la guerre » et la quête de nouveaux mécanismes de survie au niveau local, hors de l’agriculture traditionnelle, sont inextricablement liées ; ce climat social provoque l’érosion de la base des ressources de nombreux ménages, un processus aggravé par les pillages militaires.

39Les formes traditionnelles de la solidarité sociale et économique sont remplacées par la lutte individualisée pour sa propre existence, privilégiant les solutions aux effets immédiats. Les pratiques traditionnelles de socialisation sont brouillées. Sans réponse de la part des autorités politiques par des opérations d’envergure de resocialisation par l’école, la santé, les projets collectifs, etc., les effets destructeurs de cette accumulation sauvage se feront cruellement sentir dans les années à venir.

40Dans ces circonstances de délitement du tissu social, les cadets ont le choix entre rejoindre une milice ou l’une des armées existantes (CNDP ou FARDC au titre du « brassage »), ou venir travailler dans les mines et les carrières dans un marché contrôlé par les forces militarisées. Le choix de rejoindre comme combattant un groupe Maï Maï, qui se différencie de la structure sociale traditionnelle par son agencement interne et ses rapports égalitaristes, permet d’échapper à l’aliénation du terroir et de trouver une nouvelle forme plus acceptable d’organisation que celle du village. Ce faisant, les cadets quittent leur terroir d’origine pour longtemps et ainsi s’affranchissent, souvent pour toujours, de l’autorité des anciens. Les parents perdent leur influence sur les enfants de plus en plus attirés par les cultures urbaines plutôt que par les valeurs traditionnelles. Là où, en Afrique, le processus est inscrit dans la longue durée, dans l’est du Congo, il est violent et rapide.

LA LUTTE CONTRE L’ÉCONOMIE FRAUDULEUSE

41Comment instaurer une économie de paix ? La réponse s’égrène en recommandations : restaurer l’autorité publique, lutter contre l’impunité, mettre en place un cadre politique responsable et engager des actions de reconstruction. Mais le rétablissement de la sécurité demeure la pré-condition. Dans le schéma de sortie de conflit qui serait le plus favorable, le retour à la paix doit apporter la sécurité aux populations déplacées qui pourront revenir vers leur village et reprendre leurs activités. Il doit ensuite permettre de lever les entraves au commerce et de rétablir l’administration dans son rôle de régulateur et de contrôleur contre la fraude. Les mesures à prendre sont au programme des divers accords de paix (Kisangani, Nairobi, Goma) et des résolutions des Nations unies, qui renouvellent périodiquement le mandat de protection des civils de la Monuc, déployée dans les zones sensibles[19] [19] Un aspect peu connu de l’économie des conflits est celui...
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42Une fois la sécurité rétablie, que faire ? La réponse qui semble s’imposer est de casser les bases économiques sur lesquelles sont assis les conflits. Si les ressources minérales sont une arme de la violence, il faut retirer aux fauteurs de conflits les moyens de nuire. L’objectif est de priver les groupes armés qui terrorisent la population du financement que leur procure le commerce des minerais. L’interdiction et la résorption des activités délictueuses, et donc la répression de ceux qui s’y adonnent, ont pour but d’assécher les disponibilités financières susceptibles de soutenir les hostilités, l’achat d’armes notamment. La porosité et la permissivité des frontières de la RDC qui partage 9 000 kilomètres de frontière avec neuf pays voisins ne rendent pas la tâche aisée car elles sont autant d’obstacles à la surveillance des mouvements parallèles de minerais et d’armes.

43Un certain progrès a été accompli dans la dénonciation de l’exploitation minière illégale en RDC et la mise en lumière du rôle des entreprises multinationales. Les rapports du groupe d’experts des Nations unies, dirigé par Mahmoud Kassem, mis en place en 2000, se sont employés à disséquer les réseaux de la terreur, de la spoliation et de la corruption entretenues par ce qu’ils appellent « les réseaux d’élite »[20] [20] Nations unies, rapports des groupes d’experts mandatés...
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. Dans le rapport d’octobre 2002, les experts ont mis en évidence l’implication de 80 sociétés internationales agissant en violation du code de bonne conduite de l’OCDE. Les trois quarts des firmes citées étaient enregistrés en Belgique, en Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. D’autres étaient domiciliées à Hong Kong, en Malaisie, au Kazakhstan, à Saint-Kitts-et-Nevis, en Israël. Cette longue liste a prouvé à quel point le pillage « systémique et systématique », pour reprendre les termes du rapport, est « mondialisé ». Le rapport du député congolais Christophe Lutundula, déjà cité, fait quant à lui état de 26 contrats signés entre l’État et des sociétés minières entre 2001 et 2003 qui auraient conduit à un prélèvement de 11 milliards de dollars.

LES MESURES INTERNATIONALES ANTI-CONFLITS

44« Les conflits africains ont des formes moyenâgeuses et postmodernes. Ils s’insèrent dans une économie mondiale officielle et criminelle » (Hugon, 2003, p. 851). L’environnement international est donc décisif. Dans l’arène des marchés de minerais, comme dans celle, parallèle, des marchés d’armes, des efforts plus substantiels que jusqu’à présent doivent être fournis pour intercepter et poursuivre les « faiseurs de conflits », complices du commerce illégal avec les rebelles, ceux qui violent les embargos, les courtiers illégaux et les trafiquants véreux. Les filières ne peuvent certes plus alimenter ouvertement les fabricants européens ou américains, mais le trafic trouve de nouveaux débouchés, Indonésie et Chine. Et les anciennes pratiques se perpétuent : Global Witness a dénoncé en octobre 2008 les agissements de la société de négoce britannique Afrimex devant le parlement de Londres. Depuis ces révélations, un « embargo moral » tente de s’imposer contre le coltan du Congo. Plusieurs compagnies électroniques ont rejeté l’utilisation du coltan provenant d’Afrique centrale pour privilégier la source australienne. Le plus important fabricant de composants en tantale, Kimet, a demandé à ses fournisseurs de certifier l’origine du coltan livré. Cabot affirme que son coltan vient à présent exclusivement du Canada, d’Australie et du Mozambique (Cabot Sustainability Report, 2008)[21] [21] Traxys et Trademet, deux sociétés belges, ont été soupçonnées...
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45Les mesures à prendre doivent aller de la surveillance des puits d’extraction minière au contrôle des circuits d’exportation. On pense à l’initiative EITI – Extractive Industries Transparency Initiative (Initiative pour la transparence dans les industries d’extraction), une coalition de gouvernements, de sociétés, de groupes venant de la société civile, d’investisseurs et d’organisations internationales. EITI ne concerne actuellement en RDC que le Katanga. On pense aussi au Processus de Kimberley, évoqué plus haut, qui est un régime international de certification des diamants bruts signé en 2003. La RDC est membre de ce régime, qui devrait bientôt s’étendre au blood coltan.Mais son application n’est pas aisée dans un pays où la défaillance de l’État laisse encore une marge de manœuvre importante aux trafiquants. Un détour par Bombay ou Dubaï rend leur virginité à des gemmes d’origine discutable.

46Enfin, dans le même ordre d’idées, dans le respect des règles de l’OCDE, les grandes sociétés doivent faire preuve d’une « diligence raisonnable » (Global Witness, 2008) lors de leurs achats, c’est-à-dire prendre l’engagement – et s’y tenir – que les minerais qu’elles achètent ne servent ni à financer des groupes armés, ni ne contribuent à des violations des droits de l’homme à quelque étape que ce soit de la filière. La question de la « moralisation » des échanges avec les pays non-membres de l’OCDE, comme la Chine, donc non soumis à ses règles, se pose également. La certification internationale des minerais serait désormais aussi envisageable pour des métaux de références comme le cuivre, l’or et le cobalt[22] [22] Le Parlement européen a adopté en novembre 2008 une résolution...
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. Des ONG européennes font sur ce sujet un travail convaincant. Certes le système est imparfait, on peut trafiquer un certificat (fausse identité du produit, fausse teneur) et aucune sanction ne s’applique actuellement. Bientôt, il sera possible de parvenir à des méthodes de traçabilité physico-chimiques, pondérales, commerciales et financières qui permettront de suivre le produit de la production à la distribution.

CONCLUSION

47Avec le rétablissement des relations diplomatiques entre la RDC et ses voisins, le Rwanda et l’Ouganda, des programmes de sortie de crise ressortent des cartons. Comme c’est toujours le cas dans des scénarios de transformation, il y aura de fortes résistances. Localement, ceux qui ont bénéficié de l’absence de réglementation, de la militarisation de l’activité économique et des opportunités de rente chercheront à faire échouer les efforts de réglementation, voire à les combattre par la force. D’autres, en plus grand nombre certainement, des creuseurs aux fonctionnaires locaux, en passant par les négociants qui ont été contraints de s’accommoder du système déréglementé et les exportateurs formels, trouveront dans le rétablissement de la légalité un intérêt supérieur. Si, après tant d’années de conflits et d’insécurité, tant de victimes innocentes, tant de terroirs détruits, les attitudes de défiance sont difficiles à lever, si les alliances sont précaires, il n’est pas impossible d’espérer que sous l’impulsion des gouvernements les plus concernés réunis dans la Commission économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), un jour prochain, un mécanisme fédérateur sera mis en place pour amorcer ces coopérations autour de la problématique de la gestion concertée au bénéfice des communautés. Comment financer le passage de l’économie du conflit à l’économie de paix ? Il est concevable d’escompter sur la réallocation d’une fraction des ressources allouées par les pays occidentaux à la Monuc au titre de la protection des populations et de la dissuasion, comme à d’autres organisations humanitaires (HCR, PAM, Unicef) soit une somme de plus d’1,5 milliard de dollars par an, pour financer des programmes transversaux (transport, eau, énergie, sécurité alimentaire, télécommunications) et des projets fédérateurs, porteurs d’une paix durable, autour d’une autorité commune d’aménagement du territoire[23] [23] Voir à ce sujet nos propositions dans La Fin des conflits...
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BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie

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NOTES

[ * ]Économiste et diplomate, ancien maître de conférences à l’université de Paris-Dauphine et actuellement ministre plénipotentiaire. A enseigné à Paris et dans plusieurs universités africaines. Ancien directeur du développement du ministère de la Coopération (1998-2000). Depuis 1970, a été en poste en Algérie, au Sénégal comme conseiller à la présidence de la République, puis chef de mission de coopération au Burkina Faso et au Cameroun, avant d’être nommé secrétaire général de la Conférence du bassin du Niger, puis ambassadeur de France au Kenya (2000-2003), au Ghana (2004-2008) et actuellement au Congo (RDC). Auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur l’Afrique, l’économie internationale et l’économie du développement. Retour

[1]Chiffres donnés par maître Marcel Yabili, Conférence à Lubumbashi, gouvernorat du Katanga, mai 2009. Retour

[2]Les nouveaux projets existent cependant. Le plus grand gisement de cuivre et de cobalt, Tenke Fungurume, détenu majoritairement par une société américaine (Freeport McMoRan) devrait entrer en production fin 2009, avec une projection de production, dans cinq ans, de 400 000 tonnes de cuivre. Le projet chinois de Diluluwe par la Sicomines (en joint venture avec la Gécamines) soulève encore de nombreuses objections quant à son montage financier. Le groupe français Areva a signé un accord de coopération avec la RDC en mars 2009 pour l’exploitation de l’uranium du Katanga. Retour

[3]Un million de tonnes de minerais de 18 variétés différentes ont été extraits en 2008, mais de très faible teneur et donc de faible valeur (source : assemblée provinciale du Katanga, Lubumbashi, mai 2009). Retour

[4]La cassitérite est un minerai dont on extrait l’étain, employé dans la fabrication du fer blanc et divers emballages alimentaires et surtout dans les circuits électroniques des équipements informatiques. Son extraction date de l’époque coloniale, vers les années 1930. Sa teneur est de 25 à 40 % ; la complexité des procédés pour isoler les différents métaux que l’on trouve dans les mêmes alluvions et les mêmes filons (cassitérite, colombite, tantalite, wolframite, tungstène) pèse lourdement sur le prix. La cassitérite est très présente dans la province du Sud-Kivu, dans le territoire de Shabunda et dans le Nord-Kivu à Walikale et sur le plateau de Masisi. Retour

[5]Le rattachement de l’économie minière locale à l’économie mondiale peut être vérifié. Une chute du Nasdaq reflète une chute de la demande en équipements de communication high-tech pour lesquels le coltan est utilisé. Elle se traduit comme en 2000 ou en 2008 par la chute du prix mondial du coltan, qui se répercute mécaniquement sur les revenus des creuseurs artisanaux. Retour

[6]Plus de 2 000 droits miniers furent accordés entre juin 2003 et décembre 2005. « Le carnaval minier qui s’en suivra ne manquera pas de rappeler l’Afrique des comptoirs d’avant la colonisation » écrivit le rapport parlementaire Lutundula produit par la Commission d’experts du Parlement congolais sur la validité des contrats signés durant les deux guerres, mise en place en 2004 et présidée par le député Christophe Lutundula. Retour

[7]Dans le plateau du Masisi, que le CNDP contrôlait depuis plusieurs années, s’étaient également installés des exploitants agricoles et s’étaient créés des ranchs appartenant à des personnes qui lui étaient proches et qui payaient la rébellion du chef du CNDP, Laurent Nkunda, pour leur protection. Retour

[8]En 2006, le consortium anglo-sud-africain Mining Processing Congo (MPC) a obtenu du gouvernement de la RDC la concession de Bisie, mais lorsqu’il arriva sur les lieux, il fut accueilli par des tirs de la 85e brigade des FARDC. Retour

[9]Rapport d’étapes du groupe d’experts sur la RDC, Conseil de sécurité, Nations unies, mai 2009. Retour

[10]Le transport du carré minier au poste du négociant se fait le plus souvent à dos d’homme. En juin 2009, un porteur gagnait 35 dollars pour une charge de 50 kilos à transporter de Bisie à Walikale (70 km) soit trois jours de marche aller-retour. Retour

[11]Chiffres obtenus par l’auteur, en novembre 2008, auprès de 120 creuseurs. Retour

[12]Selon les estimations des autorités provinciales, jusqu’en janvier 2009, plus de 200 000 dollars ont été perdus chaque mois par l’État, le CNDP ayant pris le contrôle du poste-frontière de Bunagana menant en Ouganda où transitent 40 % de la cassitérite. Retour

[13]Le LME a un statut quasi mythologique auprès des creuseurs ignorant les mécanismes des marchés internationaux. Certains s’interrogent : « Mais pourquoi M. Elemi est-il si tyrannique avec ses prix si bas ? » Retour

[14]Source : Fédération des entreprises congolaises (FEC), 2009. Retour

[15]Pole Institute, entretiens avec les services de l’État et les négociants de Goma, janvier-avril 2007. Retour

[16]Sources : INICA, 2007, p. 14 et US Geological Survey 2006 (2007). Alors que le Rwanda ne dispose que de faibles réserves de coltan, le commerce de ce minerai a rapporté au pays 20 millions de dollars US en 2008, en augmentation de 70 % par rapport à l’année précédente (Le Potentiel, 29 mai 2009). Retour

[17]Le code minier congolais organise la traçabilité des minerais sur le territoire national, avec l’identification du site d’extraction, du transport, de la transformation jusqu’à l’exportation, sous peines de fortes amendes ou de retrait des autorisations. Les sanctions ne sont pas prises. Le défaut de traçabilité sur la totalité de la chaîne minière est une perte considérable de ressources. Retour

[18]Données obtenues à Goma par l’auteur (juin 2009). Retour

[19]Un aspect peu connu de l’économie des conflits est celui associé à la présence d’un fort contingent de casques bleus (17 000 hommes de la Monuc) et de milliers d’humanitaires. La première résultante pour les populations est l’inflation et l’emploi dans les services. Les loyers à Goma ont été multipliés par 5. Les hôtels sont pleins. Le « boom » immobilier à Goma qui ressemble à une ville du Far West, mais aussi à Bukavu ou à Bunia, est attachée à cette forte demande et à une offre – ironie du système – probablement financée par l’argent de la fraude ou qui est pour le moins d’une origine douteuse. On note que 30 stations-service ont été construites sur la route de Sacke à la sortie de Goma, sans raison économique, sinon probablement le blanchiment rapide. Retour

[20]Nations unies, rapports des groupes d’experts mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU sur le pillage des ressources naturelles en RDC (Congo) et autres richesses de la République démocratique du Congo, S/2001/357 (avril 2001), S/2001/1072 (novembre 2001), S/2002/565 (mai 2002), S/2002/1146 (octobre 2002) et S/2003/1027 (octobre 2003). Nouveau rapport sur les ressources naturelles en tant que source de financement des groupes armés S/2008/43 (février 2008). Retour

[21]Traxys et Trademet, deux sociétés belges, ont été soupçonnées par les experts des Nations unies, en mai 2009, de s’être approvisionnées auprès des comptoirs contrôlés par le FDLR et le CNDP. La première société a décidé d’interrompre ses activités fin mai, estimant qu’il y a avait « d’autres solutions acceptables » à ce problème, tandis que Trademet ne prenait aucun engagement (rapport ONU, op.cit., 2009). Rights and Accountability in Development est parvenu à faire condamner par le gouvernement britannique une compagnie de fret aérien, DAS Air. Human Rights Watch de son côté a mis en évidence la contrebande d’or orchestrée par des fonctionnaires ougandais et des entreprises multinationales par l’intermédiaire des chefs des milices rebelles locales. Retour

[22]Le Parlement européen a adopté en novembre 2008 une résolution sur la mise en place d’un système de certification pour l’importation des minerais originaires de RDC. Retour

[23]Voir à ce sujet nos propositions dans La Fin des conflits dans l’est de la RDC et les perspectives de la coopération régionale, ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris, 2009.Retour

RÉSUMÉ

La malédiction des matières premières – essentiellement le cuivre et le cobalt du Katanga ainsi que le diamant du Kasaï – a frappé l’économie congolaise dès les années 1980. La prédation a régné, avec ses conséquences désastreuses sur l’industrie et les infrastructures. L’économie des conflits qui s’est établie au Congo oriental depuis dix ans associe divers éléments : une rente, des « creuseurs », le contrôle militaire, des réseaux maffieux, de la violence alimentée par la rumeur, avec ses répercussions sociales dramatiques. Le contrôle de l’exploitation et du trafic des minerais doit être associé à la relance des initiatives internationales.

 



The curse of natural resources – be it copper or cobalt in Katanga or particularly diamonds in Kasai – hit the Congolese economy in the 1980s. Predatory behaviour has been rife, resulting in disastrous consequences for industry and infrastructures. The conflict economy that has become entrenched in east Congo over the last ten years combines various elements : rents, « diggers », military control, criminal networks, violence fuelled by rumour, with its dramatic social consequences. Control of the production and trafficking of minerals now needs to be addressed by new international initiatives.

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